Nous continuons d'arpenter les extraits de fièvre noire en attendant le grand marathon de septembre.
On commence à passer à la vitesse supérieure. Mac se prépare pour aller chez Mac Cabe avec Barrons et leurs échanges verbaux sont toujours autant orgasmique.
Vingt minutes plus
tard, j’étais prête.
Comme je l’avais supposé, le petit bâtiment à l’arrière de
l’immeuble était un garage. Et quel garage ! Jamais je n’aurais cru que vendre
des bouquins était une activité aussi lucrative.
Jéricho Barrons possédait une collection de bolides à faire
pâlir d’envie bien des amateurs. Fascinée, je le suivis jusqu’à une modeste -
en comparaison du reste - Porsche noire 911 Turbo. Dès qu’il eut inséré et
tourné la clé de contact, les cinq cent quinze chevaux du moteur se mirent à
rugir sous le capot, éveillant en moi une agréable volupté. Je m’y connaissais
un peu en voitures ; je les aimais fougueuses et racées. L’élégance subtile du
coûteux véhicule me transportait.
Barrons abaissa le toit ouvrant et quitta le garage. Il
roulait vite, avec cette agressivité experte qu’exigeait un bolide capable de
passer en quelques secondes du point mort à la cinquième. Les quartiers se
succédèrent au rythme de la circulation, tantôt rapide, tantôt lent, mais une
fois que nous eûmes laissé derrière nous les lumières de la ville, il s’élança
à vive allure.
L’air était tiède, le ciel constellé d’étoiles, la lune
ronde et brillante. En d’autres circonstances, j’aurais adoré cette petite
virée nocturne.
Je jetai un regard à la dérobée à mon voisin. Quoi qu’il
soit par ailleurs - non seulement un sidhe-seer, lui aussi, mais, par-dessus le marché, un odieux personnage
imbu de lui-même —, il était redevenu un homme, rien qu’un homme, absorbé dans
le plaisir de la conduite, dans le pur bonheur que lui procurait la puissance
de son engin lancé à toute vitesse sur cette route déserte, dans la nuit
infinie.
—
Où allons-nous ?
J’avais dû crier pour me faire entendre par-dessus les
rugissements conjugués du vent et du moteur.
Sans quitter la route des yeux - ce dont je lui fus
éminemment reconnaissante, étant donné que nous roulions à près de cent
soixante-dix kilomètres à l’heure -, il me répondit sur le même ton :
—
Il y a trois autres
amateurs à Dublin qui cherchent le livre. Je veux savoir s’ils ont trouvé
quelque chose. Vous serez mon limier, mademoiselle Lane.
Je consultai l’horloge du tableau de bord.
—
Il est 2 heures du
matin. Avez-vous l’intention de vous introduire chez eux par effraction,
pendant qu’ils dorment ?
On comprendra à quel point ma vie était devenue surréaliste
lorsque je dirai que, s’il avait répondu par l’affirmative, ma première
réaction n’aurait pas été de m’insurger contre ses méthodes mais de lui
reprocher de m’avoir obligée à porter une tenue bien trop excentrique pour un
cambriolage nocturne. Perchée comme je l’étais sur des talons aiguilles et
vêtue d’une minijupe, j’étais fort mal équipée pour piquer un cent mètres afin
d’échapper aux force de l’ordre ou à un propriétaire armé et de mauvaise
humeur...
Il ralentit un peu,
de façon que je puisse l’entendre.
—
Ces gens-là sont des
oiseaux de nuit. Ils seront debout, et aussi ravis de me voir que moi de les
rencontrer. Nous aimons nous tenir au courant de l’état de nos recherches. La
différence entre nous, c’est qu’ils ne vous ont pas, eux.
Un sourire éclaira
son visage. Apparemment, il était très satisfait de sa nouvelle arme secrète -
moi. Une vision alarmante se dessina alors dans mon esprit : Barrons me
promenant de maison en maison en me disant : « Cherche ! » comme à un chien de
chasse. Plus je le fréquentais, plus je l’en croyais capable...
Nous roulâmes en
silence encore une dizaine de minutes, puis il quitta la route et s’engagea
dans une propriété privée protégée par un mur d’enceinte. Après avoir été
arrêtés par deux gardes en uniforme blanc qui, au terme d’un rapide coup de
téléphone, consentirent à lever la lourde barrière d’acier qui nous barrait le
passage, nous poursuivîmes notre chemin le long d’une allée sinueuse ¡bordée de
part et d’autre par des arbres centenaires.
{...]
Cette maison était un mystère pour moi. Comment pouvait-on
se sentir à l’aise dans un endroit aussi prétentieux ?
—
Soyez prudente, me dit
Barrons alors que nous descendions de voiture, et si vous voyez quelque chose
qui n’a pas l’air humain, n’y touchez pas.
Je refoulai un éclat de rire nerveux. On était à des
années-lumière des conseils pleins de bon sens de ma maman, tels que « Restez toutes
les deux ensemble, tenez-vous par la main et regardez de chaque côté avant de
traverser la rue » !
—
Rassurez-vous, je n’en
ai aucune envie, lui répondis-je. Cela dit, je serais curieuse de savoir pourquoi
je ne dois pas le faire...
—
Je commence à croire
que Fiona a vu juste, en ce qui vous concerne. Vous êtes probablement une null, ce qui signifie que vous nous trahiriez si vous touchiez un
faë.
Je regardai mes mains, dont le vernis à ongles pastel
jurait avec mon nouveau look. A présent que mes cheveux étaient foncés, des
couleurs plus audacieuses m’iraient mieux. J’allais devoir revoir ma garde-robe
et mes accessoires...
—
Je serais une quoi ?
demandai-je en m’élançant à sa suite.
J’avais le plus grand mal à marcher aussi vite que lui,
d’autant que mes talons aiguilles s’enfonçaient dans le gravier de quartz blanc
scintillant qui couvrait l’allée.
—
Null. D’anciennes légendes évoquent des sidhe-
seers ayant la faculté de paralyser un
faë rien qu’en le touchant de leur main, l’empêchant ainsi de bouger pendant
plusieurs minutes et le rendant donc incapable d’opérer un transfert. C’est
probablement votre cas.
—
Opérer un transfert ?
—
Chaque chose en son
temps, mademoiselle Lane. Vous souvenez-vous des consignes ?
J’observai rapidement la maison. On devait y donner une
fête, car les terrasses étaient envahies de gens qui tenaient un verre à la
main. D’en bas, je pouvais entendre de la musique, des rires, et même le
tintement des glaçons dans les verres.
—
Oui. Si je suis prise
de nausées, je dois demander si je peux utiliser la salle de bains. Vous me
montrerez le chemin.
—
Très bien. Ah !
J’allais oublier...
D’un regard, je
l’invitai à poursuivre.
—
Essayez de faire en
sorte qu’on vous croie amoureuse de moi.
Sans un mot de plus,
il me prit par la taille pour m’attirer contre lui. Un long frisson me
parcourut, qui n’avait aucun rapport avec la fraîcheur de la nuit.
[...]
—
Jéricho ! s’exclama
une voix féminine aux intonations félines.
En me tournant, je vis une superbe créature aux cheveux
d’un noir de jais, vêtue - ou plutôt dévêtue - d’une robe du soir blanche dont
le décolleté n’avait pour but, du moins je le suppose, que de mettre en valeur
l’énorme diamant qui scintillait entre ses seins. Après m’avoir décoché un
regard meurtrier, elle reprit en ronronnant :
—
J’ai failli ne pas te
reconnaître. Je ne sais même pas si on s’est déjà vus habillés, toi et moi...
—
Marilyn, dit-il en lui
adressant un bref hochement de tête qui parut la contrarier au plus haut point.
Un grand type très maigre en costume noir et au crâne
couvert d’une épouvantable crinière blanche s’approcha ensuite de nous.
Personne ne lui avait donc dit que sa tenue de croque-mort lui donnait l’air
encore plus squelettique ?
—
Tu nous apportes de la
chair fraîche, Barrons ?
Avec un léger temps de retard, je compris qu’il parlait de
moi.
—
Occupe-toi de tes
affaires, Ellis.
—
Toujours aussi
aimable, à ce que je vois !
—
Je n’ai pas de temps à
perdre avec les minables, répliqua Barrons en passant son chemin.
—
Va au diable !
grommela l’anorexique derrière nous.
—
Je vois que vous avez
plein d’amis, ici, fis-je remarquer à Barrons.
—
Personne n’a d’amis,
dans cette demeure. À Casa Blanc, il n’y a que les utilisateurs et les utilisés.
Casa
Blanc ? Drôle de nom, pour une maison !
-—
Sauf moi, rectifiai-je.
Il me jeta un regard rapidi ;-— Ça, vous le
verrez bien. Si vous vivez assez longtemps.
Même si j’étais un jour nonagénaire, me
dis-je, jamais je ne ressemblerais à la faune qui m’entourait !
Tandis que nous progressions à travers la maison, Barrons
continua d’être accueilli par des sourires gourmands, surtout de la part de
ces dames, et par des regards agressifs, essentiellement côté masculin. Pour ma
part, j’avais l’impression d’évoluer dans un cauchemar. La même atmosphère
lourde régnait dans toutes les pièces, comme si les individus les plus malsains
de la région s’étaient donné rendez-vous ici... Que ma famille me semblait
loin, tout à coup ! En tout cas, malgré les avertissements de Barrons, je ne
vis rien autour de moi qui me parût inhumain.
Jusqu’à ce que nous atteignions une
salle située au dernier étage, tout au bout de la maison.
Avant d’y parvenir, nous dûmes franchir trois groupes de
gardes armés. Je faillis me pincer. Non, je ne rêvais pas. Je me trouvais bel
et bien dans une soirée où patrouillaient des vigiles, et j’étais vêtue de noir
de pied en cap, moi qui ne jurais que par les couleurs gaies...
Malgré ma minijupe, mon top moulant et mes talons
aiguilles, j’avais l’impression d’être une gamine à côté des femmes que nous
croisions. Quant à mes cheveux coupés aux épaules en un carré long, j’avais eu
beau les froisser pour leur imprimer une allure sauvage et sexy, ils me
donnaient surtout l’air d’une première communiante. Et je ne parle pas de mon
maquillage désespérément classique, en dépit de mes efforts d’innovation...
—
Arrêtez de gigoter, et
cessez de tirer sur cette jupe, maugréa Barrons entre ses lèvres.
Je pris une profonde inspiration, autant pour m’insuffler
du courage que pour contenir ma colère envers lui.
—
La prochaine fois,
vous me donnerez plus de détails sur notre destination.
—
La prochaine fois,
répliqua-t-il, vous n’en aurez pas besoin. Regardez autour de vous et prenez
des notes.
{...}
—
Du calme, murmura
Barrons, qui avait perçu ma nervosité.
Puis il leva les yeux vers l’homme assis sur un ridicule
fauteuil aux allures de trône - blanc, bien entendu -, tel un souverain
accordant une audience à ses sujets.
—
McCabe, dit-il d’un
ton passablement ennuyé.
A priori, j’aurais parié que le style grand costaud roux
irlandais aux manières rugueuses mais au compte en banque bien garni me
laisserait de marbre. Pourtant, à ma surprise, je trouvai ce McCabe assez
séduisant.
{...}
| — Qu’est-ce qui
t’amène à Casa Blanc ? demanda McCabe en
rajustant la cravate blanche qui ornait sa chemise blanche sous sa veste
blanche.
Pourquoi se donner tant de mal ? ne pus-je m’empêcher de
songer. Une cravate était un accessoire, et à ma connaissance, les accessoires
servaient à donner du relief à une tenue,
par le choix judicieux de leur couleur, de leur texture et de leur style. Cet
homme aurait plus vite fait de se peindre en blanc. Personne ne connaissait
donc le mot « couleur », ici ?
—
J’ai trouvé que
c’était une belle soirée pour une balade, répondit Barrons d’un ton désinvolte.
—
La lune est presque
pleine. La nuit peut devenir dangereuse dehors.
—
La nuit peut devenir
dangereuse n’importe où, McCabe, rectifia Barrons.
L’autre éclata de rire, révélant une rangée de dents d’une
éclatante blancheur. Puis il tourna son regard vers moi.
—
Tu changes de
registre, on dirait ! Jolie, la gamine... D’où la sors-tu ?
« Quoi qu’on vous dise, m’avait prévenue Barrons pendant le
trajet, ne répondez pas. Ravalez votre fichue fierté et bouclez-la. »
L’insultante remarque de McCabe me donnait envie de hurler d’indignation, mais
je me mordis les lèvres et ne pipai mot.
—
De mon lit, et elle y
retourne bientôt.
—
Elle sait parler ?
—
Uniquement avec ma
permission, mais en général, elle a la bouche trop pleine pour discuter.
McCabe éclata de rire. Quant à moi, mes efforts pour me
taire étaient devenus inutiles : j’étais sans voix devant ces assauts de
grossièreté.
—
Quand tu en auras fini
avec elle, mets-la-moi de côté, veux-tu ?
Il m’observa
longuement, parcourant mes courbes avec une lenteur paresseuse, mais avec une
telle acuité que j’eus bientôt l’impression d’être nue sous son regard. Il me
semblait qu’il décelait le moindre détail de mon anatomie, jusqu’à la marque de
naissance sur ma fesse gauche, et à celle que j’ai sur le sein droit. Je vis
ses narines se dilater, tandis qu’une étincelle de fièvre s’allumait dans ses
yeux.
— A la réflexion,
murmura-t-il d’une voix un peu rauque, je n’ai pas envie d’attendre. Combien
veux-tu pour elle, là, tout de suite ?
Un sourire moqueur se dessina sur les lèvres de Barrons.
—
Il y a un livre qui
pourrait éventuellement m’intéresser. ..
À ces mots, McCabe émit un reniflement hautain, puis, d’une
pichenette, il ôta une poussière invisible de sa manche.
— Ne mélangeons pas tout, Barrons : il y a les femmes, et il y a le pouvoir. Je
connais la valeur des choses...
Son visage avait encore changé. À présent, ses traits
étaient fermés, ses mâchoires serrées, son regard vide. En un instant, il avait
perdu toute sa séduction. Quant à moi, j’étais atterrée. Les femmes n’étaient
donc à ses yeux que des choses ? J’avais l’impression de n’être qu’un objet -
jetable, par-dessus le marché. Je frémis de dégoût. Cet homme était bien du
genre à se débarrasser de ses conquêtes comme d’un mouchoir en papier ou d’un
préservatif usagé. Je l’imaginai lançant une malheureuse par la fenêtre de sa
voiture ou de son jet privé... Il en aurait été capable.
{...}
—
Rien de neuf, de ton
côté ? demanda Barrons, changeant de sujet.
Je les laissai discuter sans un mot en ravalant mon humiliation.
À leurs yeux, je n’étais qu’un objet sexuel, un accessoire mis à leur
disposition pour qu’ils en usent selon leur bon plaisir, au même titre qu’une
coupe de champagne sur un plateau, ou qu’une huître ouverte sur son lit de
glace pilée.
—
Non, répondit McCabe.
Et du tien ?
—
Rien non plus.
L’autre hocha la tête.
—
Très bien...
Laisse-la-moi et va-t’en. Ou emmène-la, mais tout de suite.
Visiblement, McCabe se souciait comme d’une guigne du
choix que ferait Barrons ! Si celui-ci partait sans moi, l’irlandais pouvait
fort bien ne pas s’apercevoir de ma présence avant plusieurs jours...
Son Altesse Décolorée nous ayant congédiés, nous partîmes.
—
Alors, il y aurait
aussi un Unseelie dans la course au Sinsar Dubh ? avais-je demandé à Barrons.
-
C’est ce qu’on dirait.
Et pas n’importe lequel, notez bien. J’ai eu vent d’un Unseelie appelé le Haut Seigneur, mais
jusqu’à présent, je n’ai pas pu l’identifier. Je vous avais prévenue,
mademoiselle Lane. Vous n’avez aucune idée de ce dans quoi vous avez mis les
pieds.
Les Unseelie que
j’avais rencontrés étaient assez effrayants comme cela. Je n’avais pas la
moindre envie de faire la connaissance de celui qu’ils devaient considérer
comme leur maître !
-
Dans ce cas, le temps
est peut-être venu pour moi de me retirer du jeu, avais-je répondu.
Pour toute réponse, il m’avait lancé un regard de défi qui
semblait dire : « Essayez seulement ! » Même si je renonçais à la promesse que
je m’étais faite de venger ma sœur, Jéricho Barrons ne me laisserait plus m’en
aller...
C’était désolant, mais c’était ainsi. Nous avions besoin
l’un de l’autre - lui de moi parce que j’étais la seule à pouvoir percevoir la
présence du Sinsar Dubh, et moi de lui
parce qu’il savait tout ce qu’il fallait savoir à propos du précieux manuscrit,
notamment où il était susceptible de se trouver, et qui d’autre que nous était
à sa recherche.
Livrée à moi-même, je ne serais jamais au courant des soirées
comme celle qui avait eu lieu à Casa Blanc, et
j’aurais encore moins de chances d’y être admise. Quant à Barrons, sans mon
aide, il pouvait fort bien passer à quelques centimètres du Livre Noir sans
même s’en apercevoir.
La soirée précédente avait été pour moi l’occasion de
mesurer tout l’intérêt que j’avais pris à ses yeux. Si le Sinsar Dubh était de l’or, j’étais le
détecteur de métaux personnel ultra-performant de Barrons.
Après que Ob et Yrg nous avaient laissés pour retourner
auprès de McCabe, Barrons m’avait fait faire un tour complet de la maison.
Puis, comme je ne percevais rien, il m’avait emmenée à travers les jardins de
la propriété et m’avait fait visiter jusqu’aux dépendances.
Il m’avait obligée à inspecter le domaine, ne laissant pas
un mètre carré inexploré, si bien que je n’avais regagné ma chambre que peu
avant l’aube, partagée entre le soulagement et la frustration de n’avoir rien
découvert.
Au fond, je me moquais bien de trouver le Sinsar Dubh. Je n’avais aucun usage de cette
effrayante relique ! Ce qui m’importait, c’était de faire la lumière sur le
mystère qui entourait les derniers jours d’Alina, et sur sa mort affreuse. Je
voulais savoir qui l’avait abattue. Et lui faire payer son crime.
{...}
En attendant, je n’avais d’autre choix que de faire équipe
avec Jéricho Barrons. Les gens qu’il m’amenait à rencontrer étaient peut-être
ceux qu’avait fréquentés Alina. Si je parvenais à retrouver la trace de ma sœur
dans cet univers étrange et inquiétant, il me suffirait ensuite de remonter la
piste jusqu’à son assassin.
Du moins en étais-je
persuadée.
Je ne le savais pas encore à ce moment-Ià, mais j’allais
devoir sérieusement réviser le bien-fondé de ce raisonnement...
Je pris mon stylo et ouvris mon carnet. Nous étions
dimanche après-midi, et Barrons - Bouquins
& Bibelots était fermé pour la journée. À mon réveil, je m’étais
sentie perdue, désorientée.
« Transfert : méthode de déplacement propre aux faës »,
notai-je. Je mordillai le bout de mon feutre parme, songeuse. Comment décrire
cette opération ? Lorsque Barrons me l’avait expliquée, j’avais été terrifiée.
—
Vous voulez dire qu’il
leur suffit de penser qu’ils sont à un endroit pour y arriver instantanément ?
Ils ont envie d’aller quelque part et hop ! ils y sont aussitôt ? avais-je
demandé.
Barrons avait hoché la tête.
—
Alors, pendant que je
marche dans la rue, un faë peut se matérialiser tout à coup à côté de moi et me
prendre par la main ?
—
Oui, avait-il répondu,
mais vous possédez un avantage décisif. Vous n’avez qu’à le toucher pour le
paralyser, comme vous l’avez fait l’autre jour dans cette rue. Mais ensuite,
dépêchez-vous. Vous devez agir avant qu’il ne vous ait transférée vers un
endroit où vous n’avez absolument aucune envie d’aller.
—
Que suis-je censée
faire ? Me promener avec une arme dans mon sac à main pour abattre ces sales
bestioles avant qu’elles recommencent à bouger ?
Quelle que fut l’horreur que m’inspiraient les Unseelie, la seule idée de descendre un être
vivant qui ne peut se défendre me répugnait.
—
Encore faudrait-il que
vous le puissiez, avait répliqué Barrons. Les faës, seelie et unseelie,
sont pratiquement indestructibles. Plus ils viennent d’une caste élevée, plus
ils sont difficiles à abattre.
-
Génial. Alors, que
dois-je faire, après les avoir momentanément transformés en statues de sel ?
—
Courir, avait répondu
Barrons, un sourire sardónique aux lèvres. Courir aussi vite
que vous le pouvez, mademoiselle Lane.